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François Vialatte commande les ordinateurs par la pensée

Neuroingénierie, interfaces cerveau-machine et
potentiels évoqués visuels de régime permanent

Laboratoire SIGnaux, Modèles,
Apprentissage statistique
www.neurones.espci.fr

Voir l’animation en ligne

Le cerveau est un organe complexe. Il est constitué de neurones connectés les uns aux autres, chacun d’entre eux pouvant être relié à plusieurs milliers d’autres à la fois. Ces neurones s’échangent des informations en s’envoyant des molécules particulières ou bien par des signaux électriques. Ainsi, un neurone est parcouru chaque seconde par plusieurs centaines de décharges électriques. Toute cette activité ne reste pas invisible : une électrode placée sur le scalp (la peau recouvrant la tête) peut mesurer les traces de ces signaux, et permettre ainsi de détecter l’activité du cerveau. On appelle cette mesure un électroencéphalogramme, souvent désigné par l’acronyme « EEG ».

Cependant, on mesure en pratique un signal très faible, qui change en permanence, et dans lequel il semble impossible de distinguer quoi que ce soit. En effet, tout comme le cours de la Bourse ou la météo, l’activité cérébrale est non-stationnaire  : elle est sujette à des changements brusques et totalement imprévisibles. À la différence que, pour le cerveau, ces changements ont lieu toutes les millisecondes, soit mille fois par seconde : autant dire qu’aucun humain n’est capable d’interpréter directement un EEG ! On a donc recours à une méthode informatique très puissante : l’apprentissage statistique.

Le principe de cette méthode est le suivant : on effectue des EEG sur un grand nombre de personnes, de sorte à constituer une bibliothèque de signaux. On la soumet alors à un ordinateur, qui va chercher les points communs et les différences entre ces exemples, pour déterminer quelles sont les informations intéressantes dans le signal. Ainsi, par la suite, quand on lui soumet un nouveau signal, l’ordinateur a établi des règles  : il sait quoi regarder.

L’ordinateur affiche l’intensité des signaux électriques parcourant le crâne du sujet en fonction du temps, afin d’enrichir la bibliothèque nécessaire à l’apprentissage statistique


François s’intéresse quant à lui à un type de signal bien particulier. Quand une personne regarde une image qui clignote à une certaine fréquence, des signaux apparaissent dans le cerveau qui varient aussi à cette fréquence. Ces signaux ont donc une évolution prévisible : on dit qu’ils sont quasi-stationnaires. Ils portent le nom de potentiels évoqués de régime permanent.

En pratique, François pose de nombreuses électrodes sur la peau du crâne de son sujet. Ces électrodes sont placées à des endroits bien particuliers, car ce que capte l’électrode dépend de la zone du cerveau au-dessus de laquelle elle est située. Les cheveux conduisant mal l’électricité, on applique un gel entre l’électrode et le cuir chevelu pour que le signal électrique passe mieux. Le sujet est alors placé devant un écran, sur lequel 9 carrés clignotent à une fréquence différente. On demande au sujet de regarder chacun de ces carrés successivement, et on relève l’EEG correspondant. Une fois cette phase terminée, la bibliothèque nécessaire à l’apprentissage statistique est complète. Le sujet peut alors regarder n’importe quel carré, et l’algorithme tente de déterminer duquel il s’agit. En effet, il recherche dans le nouvel EEG les traces du potentiel évoqué de régime permanent correspondant à chaque carré : le cas échéant, l’ordinateur peut conclure que le sujet est en train de regarder tel ou tel carré.


Ce type de dispositif est appelé Interface Cerveau-Machine (ICM). Les ICM sont encore assez peu développées aujourd’hui, mais il est probable qu’elles se répandent dans les années à venir, et en particulier dans deux domaines : les jeux vidéo et la médecine.

Il existe déjà un casque EEG destiné aux jeux vidéo, qui permet d’évaluer le niveau de concentration du joueur. À l’heure actuelle, peu de jeux le supportent déjà. Mais d’ici quelques années, on pourrait par exemple imaginer le développement d’un jeu vidéo immersif, basé sur le principe suivant : une caméra à reconnaissance de mouvement permettrait d’effectuer des actions simples et rapides, alors que l’utilisation de compétences plus puissantes ne serait possible que lorsqu’un casque EEG constaterait que le joueur est suffisamment concentré.

Dans le domaine de la médecine, l’EEG peut également permettre un diagnostic rapide et efficace de l’état du cerveau, ce qui est essentiel par exemple lors de la prise en charge d’un AVC. De nombreuses applications sont également envisagées, notamment pour la réhabilitation neurologique et le traitement de douleurs chroniques.

Cependant, quand on pense aux ICM, on s’imagine facilement des scénarios de type Big Brother, où la possibilité de lire dans les pensées des gens permettrait de les asservir. François est convaincu que le grand public a raison de s’interroger sur le sujet. Une situation de ce genre pourrait arriver, et les problèmes éthiques et philosophiques qui en relèvent doivent être soulevés avant même que la possibilité technique n’existe.

Ainsi, si on combine ICM et réalité augmentée, un individu peut modifier complètement son environnement par la pensée. De même, si on donne un bras robotisé à un individu handicapé, cela semble éthiquement acceptable. Mais est-ce toujours le cas si on fixe un troisième bras à un individu en bonne santé ? Voire si on lui donne un deuxième corps, contrôlable par la pensée ? On est encore très loin de la réalisation technique de ces possibilités. Cependant, certaines expériences, comme celles de Miguel Nicolelis amènent déjà à se poser ce genre de questions.

Le casque EEG est recouvert de prises pour chacune des électrodes, elles-mêmes étant en contact avec le cuir chevelu grâce à un gel conducteur

Mais comment François en est-il venu à commander les ordinateurs par la pensée ?

Enfant, François s’interrogeait déjà sur la nature de la conscience et de la pensée : il observait alors les animaux et faisait des études éthologiques pour essayer de comprendre leur comportement ! Au début de ses études, François s’est orienté vers une école d’informatique. Il y a notamment suivi des cours sur les Intelligences Artificielles (IA), qui l’ont cependant déçu par leur présentation trop classique. En revanche, le sujet qui sut capter toute son attention fut l’étude du connexionnisme, une théorie représentant les phénomènes mentaux et comportementaux sous la forme d’interactions entre des unités simples qui forment un réseau. En participant à la création d’une start-up, il put mettre ses compétences à profit en développant un logiciel capable d’écrire des histoires, en se basant sur la grammaire générative de Chomsky. Il a poursuivi ses études avec un Master en Cognition.

François envisageait alors de fonder un laboratoire de recherche privé. Afin d’acquérir de l’expérience, il choisit d’effectuer d’abord une thèse sur l’apprentissage statistique. Puis, très intéressé par les débuts des ICM, il partit vivre au Japon afin d’y travailler dans l’un des instituts pionniers du domaine. Il pense que cette technologie « représente une fenêtre sur l’esprit ». En effet, l’exploitation d’une EEG permet seulement de chercher des invariants dans le signal provenant du cerveau et d’y reconnaître des motifs. L’utilisation des ICM permettrait, quant à elle, d’interagir en temps réel avec les mécanismes subjectifs de l’esprit, en utilisant ces motifs qui apparaissent dans les signaux cérébraux. Cela permettrait d’ouvrir de nouvelles portes pour la compréhension de phénomènes tels que l’attention, le fonctionnement des émotions ou la conscience. Après avoir passé quatre ans et demi au Japon, François décida de revenir en France, afin de prendre un poste de Maître de Conférences au laboratoire SIGMA de l’ESPCI.

Ses centres d’intérêt auraient pu le mener à être médecin, psychiatre ou chef d’entreprise, mais François se plaît dans la recherche sur les ICM. C’est un domaine dans lequel tout reste à construire, ce qui constitue un défi qui l’attire.

Par ailleurs, François est un pratiquant assidu d’arts martiaux, karaté, aïkido et kendo, tout en étant un excellent stratège au jeu de go, auquel il a beaucoup joué au Japon, y gagnant même un tournoi face à de vénérables maîtres japonais ! Amateur de randonnées, venant tous les jours à pied au travail, il pratique également jeux de plateaux et jeux de rôles.

François dans son laboratoire


Article rédigé par Guillaume DUREY et Alexis WEINREB,
élèves-ingénieurs de l’ESPCI ParisTech