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Éric le Glou étudie des mouches amnésiques et insomniaques

Étude de l’effet de la privation de sommeil sur la mémoire consolidée chez Drosophila melanogaster

Laboratoire de Neurobiologie
équipe Gènes et Dynamique
des Systèmes de Mémoire
www.gdsm.espci.fr

Voir l’animation en ligne

De toutes les mouches, on peut dire que la drosophile est l’espèce qui a fait le plus avancer la recherche scientifique ! Plus précisément, il s’agit d’un animal modèle pour les biologistes, qui s’en servent pour comprendre les mécanismes de base avant de les étudier sur des animaux plus complexes. Les travaux d’Éric portent sur les interactions entre le sommeil et la mémoire chez cet insecte. Mais pour étudier la mémoire de la drosophile, il est nécessaire de se poser quelques questions.

La drosophile, dont le nom, provenant du grec ancien, a la poétique signification de « celle qui aime la rosée »


Comment fait-on pour apprendre quelque chose à une mouche ? Ce problème a été résolu depuis longtemps par les scientifiques. La drosophile est conservée dans un barillet, que l’on expose pendant une minute à une odeur particulière. Pendant cet intervalle de temps, la mouche va subir douze chocs électriques. Elle va donc associer cette odeur à la sensation désagréable liée au choc. On laisse ensuite s’écouler 45 secondes, pendant lesquelles la drosophile se repose. Puis, on diffuse une nouvelle odeur pendant une nouvelle minute, cette fois sans choc électrique. La mouche a ainsi « appris » que la première odeur lui est néfaste, et aura donc tendance à éviter la première. On dit qu’elle a subi un cycle de conditionnement.

Comment fait-on alors pour savoir que la mouche a appris quelque chose ? Là encore, la réponse est claire. Éric possède dans son laboratoire un montage qui lui permet de tester les « connaissances » de ses mouches. Son fonctionnement est le suivant : un petit ascenseur amène les mouches à un tuyau en forme de T. Elles peuvent donc y choisir librement l’un des deux chemins possibles, dans lesquels on diffuse les deux odeurs précédentes. On laisse une minute à la mouche pour faire son choix, dans le noir complet – pour éviter le phénomène bien connu de phototaxie, c’est-à-dire le fait que les mouches soient attirées par la lumière. Si la drosophile prend la direction de l’odeur qui ne donnait pas lieu à un choc électrique, c’est qu’elle se souvient de ce qu’elle a appris.

Éric réglant l’appareil qui lui sert à tester la mémoire de ses drosophiles


La question qui taraude désormais les scientifiques est plutôt : « Comment la mouche fait-elle pour s’en souvenir ? ». Ils ont pu mettre en évidence que dans ce genre de situation, la drosophile possédait trois formes de mémoire. Si la drosophile est soumise à un unique cycle de conditionnement, elle va développer une « mémoire à court terme » : pendant quelques heures, elle sera capable de se diriger vers la bonne odeur. Si elle est soumise à cinq cycles de conditionnement d’affilée, il va se créer une « mémoire résistante à l’anesthésie » : d’une durée de quelques jours, cette forme de mémoire n’est pas affectée si l’on endort la mouche en la soumettant à de très basses températures - on réalise alors une anesthésie par le froid. Enfin, si la mouche subit cinq cycles de conditionnement espacés d’un quart d’heure, alors son organisme va créer de nouvelles protéines pour former une « mémoire à long terme », qui dure également plusieurs jours. Ces deux dernières formes de mémoire portent le nom de « mémoires consolidées ».

Éric essaie d’évaluer quelles sont les drosophiles qui se souviennent le mieux des odeurs, entre celles qui ont dormi, et celles qui n’ont pas bénéficié des vertus du sommeil. Évidemment, on pourrait penser que celles qui ne dorment pas sont plus fatiguées, donc vont moins bien mémoriser les odeurs. Mais en réalité, la privation de sommeil n’est que de quatre heures, ce qui n’est pas suffisant pour fatiguer une mouche : seule la consolidation de la mémoire est affectée. Pour empêcher ses mouches de dormir, Éric a recours à un appareil bien étrange, dans lequel sont rangées des tubes contenant chacun une drosophile. Trois fois toutes les cinq minutes, la machine fait basculer les tubes, ce qui force les mouches à bouger, les maintenant ainsi éveillées.

Les mouches au garde-à-vous dans leur râtelier, attendant qu’on les empêche de dormir...


Éric a ainsi pu mettre en évidence des résultats auxquels on ne s’attendait pas forcément. Les drosophiles anticipent la tombée de la nuit grâce à ce que l’on appelle le rythme circadien  : elles sont bien plus actives deux à trois heures avant la fin de la journée, et leur capacité de mémorisation est bien plus grande : Éric a découvert que si l’on testait les mouches à ce moment précis, alors les résultats étaient meilleurs. Le pic d’activité permet de compenser totalement l’effet néfaste de la privation de sommeil sur la consolidation de la mémoire. Mais la recherche ne s’arrête pas là, car il va maintenant falloir comprendre le fonctionnement de ce phénomène inattendu…

Pour Éric, cette question des interactions sommeil-mémoire est de nature fondamentale : elle permet de comprendre les mécanismes de base des systèmes biologiques, et ouvre par exemple la voie à une étude du même sujet chez les mammifères.

Mais comment Éric en est-il arrivé à étudier des mouches amnésiques et insomniaques ?

Ses études ont été « une ligne droite » : c’est en étudiant la biologie à l’université Pierre et Marie Curie qu’il a découvert le monde de la recherche. Ce qui l’attire dans la science, c’est de « se dire que l’on travaille sur l’inconnu, et que l’on est le premier à essayer de découvrir quelque chose ». Et son choix s’est porté sur la biologie – en particulier sur la génétique – car c’était la matière où il s’est toujours épanoui le mieux. Aujourd’hui, Éric en est à la toute fin de sa thèse. Il a décidé d’aller effectuer son post-doctorat aux États-Unis. A son retour en France, il se voit bien devenir enseignant-chercheur, les deux composantes du métier l’intéressant tout autant !

S’il n’avait pas été biologiste, il aurait apprécié avoir un métier manuel, par exemple celui d’ébéniste : l’idée de façonner un objet de ses mains lui plaît bien. Dans ses loisirs, Éric est un membre actif d’une compagnie de théâtre amateur à Issy-Les-Moulineaux : si vous ne le croisez pas en train d’empêcher des drosophiles de dormir, il y a de fortes chances pour qu’il soit plutôt en train de déclamer du Molière !

Éric dans son laboratoire, assis devant une paillasse bien remplie !


Article rédigé par Guillaume DUREY et Alexis WEINREB,
élèves-ingénieurs de l’ESPCI ParisTech